Interview: Louis WATUM, PRÉSIDENT DE LA CHAMBRE DE MINES

Monsieur Louis Watum, quel est le rôle que joueront les mines dans le développement de la RDC ?
Les mines sont au cœur de l’actualité économique de notre pays. Mais de plus en plus, on commence à voir les choses bouger parce que tout le monde a compris une chose : « ça ne peut pas continuer comme ça ». On ne peut pas continuer à parler d’un secteur qui brasse des milliards de dollars et voir une telle pauvreté au sein de nos populations.

Il y a certes les paiements infranationaux, notamment le 0,3% minimum du chiffre d’affaires des sociétés, le cahier de charges des sociétés, la redevance minière, mais également toutes les retombées dans les escarcelles de l’État. Tout cela mis ensemble fait énormément d’argent et il est vraiment temps que l’on puisse voir une réelle amélioration dans le vécu quotidien des communautés locales et du pays en général.

Je crois, comme dans toute situation, les responsabilités sont partagées. Vous savez, dans la tripartite entre le gouvernement, les opérateurs économiques et la société civile, il faut que chaque partie prenante comprenne qu’elle n’a pas que des droits, elle a également des obligations.

Et à partir du moment où chacun comprend où sont ses obligations et joue sa partition, vous verrez qu’il y aura une meilleure création de richesse, une meilleure répartition de cette création de richesse auprès des parties prenantes.

Plusieurs opérateurs miniers présents ici, ont dénoncé une régulation de plus en plus forte, une législation beaucoup plus contraignante. Qu’est-ce que vous en pensez ?

J’y ajoute ma voix, je pense l’avoir dit lors de mon panel. Regardez avec la dotation minérale, unique au monde qui est celle de la RDC. Regardez depuis le code minier de 2018, il y a pas un seul véritable investissement minier dans le secteur minier, il y a pas une seule nouvelle mine qui s’est développée. Tous les développements dans l’industrie minière sont des extensions de mines dont les investissements remontent au code minier de 2002.

Cela doit pouvoir nous interpeller. Notre régime fiscal est parafiscal restent encore très peu incitatif. Il ne permet pas réellement d’attirer ces fameux dollars d’exploration dont on a besoin pour faire de l’exploration, découvrir des gisements, construire de nouvelles mines et crées de nouvelles richesses. Tout cela manque énormément.

Mais ce qui manque encore plus, ce qui va nous coûter réellement très cher je pense, c’est le manque de vision, le manque d’anticipation. Qu’est-ce que nous voulons faire de tous ces minerais que nous avons au pays ?

Les pays du monde entier qui viennent toquer à notre porte. Nous sommes comme des enfants gâtés avec des jouets, et ce sont les enfants des voisins qui viennent voir ces jouets et qui demandent au papa de la maison: « est-ce qu’on peut jouer avec ? ». Nous devons savoir ce que nous voulons et devons faire.

C’est le manque de vision que je déplore. Nous sommes un grand pays, nous avons un capital humain unique. La preuve, c’est que tous ces grands projets miniers qui existent aujourd’hui ont été développés par des fils et filles de
ce pays. Ce que les occidentaux, enfin les étrangers, les Chinois et autres ont mis en oeuvre, ce sont les capitaux et
la technologie. Mais le capital humain provient de ce pays et nous avons les hommes et les femmes qu’il faut. Nous avons des géologues qui sont formés à un très haut niveau dans notre pays, qui ne demandent qu’une seule chose, qu’on les encadre, qu’on leur donne les moyens qu’il faut pour aller en brousse, se mettre sous une tente. Ces jeunes gens n’ont peur ni des morsures de serpent, ni les piqûres de moustiques, ni de la dysenterie, ni de la malaria. Ils n’ont pas peur de tout ça, et ils sont prêts à travailler, à découvrir des gisements. Mais qu’on leur donne ces moyens pour qu’ils puissent travailler pour leur pays. Je voudrais évoquer les quatre valeurs qui me semblent essentielles pour transformer notre pays.

D’abord, je vous parlerai de vision. Vous savez, nous avons aujourd’hui initié la transparence dans l’industrie extractive, l’ITIE. Aujourd’hui, tout le monde voit ce qui a été donné, tout le monde voit ce qui a été reçu, alors on se pose la question : qu’est-ce qu’on a fait de tous ces moyens?

On serait surpris de voir ce qui tombe dans les escarcelles de l’État. Ce ne sont pas de petits montants. Aujourd’hui, le problème n’est plus l’argent, l’argent, on n’en a plus assez. Le fonds minier par exemple, est assis sur le matelas de plus de 200 millions de dollars. Qu’est-ce qu’on en fait ? Quelle vision avons-nous pour cela ? Peut-être avez-vous une réponse ? Moi je n’en ai pas et je peux vous citer plusieurs cas comme ça. Non, de l’argent il y en a dans notre pays, mais on doit maintenant savoir qu’est-ce qu’on en fait, quelle est notre vision.

Parce que quand vous n’avez pas de vision, tout chemin vous mènera nulle part. Et malheureusement, je crois que nous ne pouvons plus nous permettre ce luxe-là. Dieu nous a donné l’intelligence, la volonté. C’est à nous maintenant de les utiliser, de travailler, de travailler dur et de travailler encore. À la jeunesse surtout je dis une chose, dans le travail qui est le nôtre, il faut mettre les ingrédients que les autres pays qui ont avancé ont utilisé, aimer son pays parce que celui qui aime son pays ne trahit pas. Celui qui aime son pays ne fait pas de mal à son compatriote.

Deuxièmement, l’intégrité. Ce qui se passe à l’est de notre pays est une tragédie. C’est aussi une trahison du pays par les fils du pays eux-mêmes. Il faut d’abord aimer son pays, faut avoir de l’intégrité. L’intégrité, cela signifie faire ce qui est correct, même quand personne ne vous regarde, surtout quand personne ne vous regarde. Vous n’attendez pas que l’IGF vienne vérifier vos comptes pour les mettre en règle. Le soir, votre conscience vous parle et vous dit que ce que je fais n’est pas correct. Je dois corriger ça, l’intégrité, c’est important.

Troisièmement, l’obligation des résultats. Dans les pays qui avancent lorsque vous donnez beaucoup d’explications pour expliquer pourquoi ça n’a pas été fait, on vous écoute poliment. Après, on cherche quelqu’un d’autre pour continuer, vous êtes licencié, et l’aventure s’arrête là, c’est fini quoi.

Et quatrièmement, la méritocratie. Comment mettre les gens qu’il faut à la place qu’il faut ? Vous avez un frigo à la maison qui tombe en panne, vous n’allez pas l’amener chez un cordonnier. Pourquoi prend-on ce qui appartient à la de la République, le frigo de la République et l’apporte-t-on chez le cordonnier ? Parce qu’il est de votre village, il est de votre tribu, de votre famille politique ? On doit arrêter ce genre de choses.

Voilà les 4 valeurs qu’il faut ajouter au travail et vous verrez comment notre Congo changera en peu de temps.

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